A quoi ressemblent les forêts Miyawaki du Japon ? – Chapitre 1
« Rendez-vous à la sortie de Futakotamagawa Station à 9h50, sur la Tokyu Denentoshi Line ! »
C’est avec ces mots que Mio, notre contact anglophone au Japon, nous a accueillis par message, à peine quelques heures après notre arrivée à Tokyo, au printemps 2023.
Inutile de dire que notre maîtrise du japonais était à ce moment-là plus que rudimentaire, et si vous n’avez jamais vu de carte du métro de Tokyo, je vous déconseille fortement d’en rechercher une sur internet pour vous éviter la crise d’anxiété.
Nous n’étions, dés lors, pas tout à fait confiant sur notre aptitude à nous orienter suffisamment efficacement pour être l’heure à ce rendez-vous matinal.
Fort heureusement, tout est indiqué en alphabet latin et en anglais dans le métro tokyoïte et Google Maps fait des merveilles pour le touriste souhaitant s’orienter dans la capitale japonaise.
C’est donc finalement – et à notre grand soulagement – sans encombre que nous avons pu retrouver Mio à Futakotamagawa Park, un dimanche de début avril 2023.
Mio est bénévole pour l’association Inochi no Mori depuis plus de 20 ans. Quand, dans leur trentaine, elle et son ami Anzaï ont entendu le Pr. Miyawaki présenter sa méthode dans un émission de radio, ils n’ont d’abord pas cru qu’il était possible de recréer des forêts aussi vite de cette façon.
Pourtant, piqués par la curiosité, ils se sont tout de même rendus à une action de plantation organisée par le professeur et ses équipes. Depuis ce jour, Mio et Anzaï font parti des bénévoles les plus actifs et impliqués dans les plantations de forêts Miyawaki au Japon et ont participé à des centaines de projets partout sur le pays, de Kyushu à Hokkaido et même à l’étranger, au cours des 25 années passées. (Cf. L’entretien avec Mio que nous avons réalisé, à venir sur ce blog).
Mio est japonaise, mais elle a grandi aux États-Unis et sa maîtrise de l’anglais est parfaite, ce qui est assez rare au Japon. C’est donc elle qui se charge d’accueillir et de guider les étrangers venant sur l’archipel pour en apprendre plus sur la méthode Miyawaki, dont nous faisons partie.
Nous la rencontrions ce jour là en personne pour la première fois. Venue nous accueillir à la station du métro, Mio nous guida ensuite dans les rues de ce quartier excentré de Tokyo jusqu’à Futakotamagawa Park, un petit parc de quartier situé le long de la rivière Tama, au sud ouest de Tokyo.
Ce genre de parc, il en existe beaucoup dans la capitale japonaise, qui est – ce fut notre surprise – étonnamment bien pourvue en espaces verts (ils occupent 24% de la ville, contre 11% pour Paris).
Mais celui-ci est spécial : il accueille la toute première mini-forêt Miyawaki plantée à Tokyo.
Celle-ci a vu le jour il y a 12 ans (2012), ce qui est significatif pour nous, alors que les forêts Miyawaki les plus anciennes d’Europe ont 7 ans tout au plus.
Mais cela semble relativement récent quand on sait que le Pr. Miyawaki a commencé ses expérimentations autour de la méthode dans les années 70 et dans un lieu tout proche de la capitale qui plus est, puisqu’il était enseignant à l’université de Yokohama, la seconde ville du Japon par la taille de sa population et qui est située au sud dans l’agglomération du Grand Tokyo.
Malgré cette proximité, les réticences des élus de la capitale couplée à la difficulté de trouver un terrain libre dans une ville aussi dense ont énormément compliqué les projets de plantations du Pr. Miyawaki, qui s’est alors surtout tourné vers des plantations à plus grande échelle dans des zones péri-urbaines et rurales.
Cette forêt Miyawaki plantée dans la capitale japonaise est donc spéciale à bien des égards et Damien et moi étions très enthousiastes à l’idée d’aller la visiter !
Avant cela, nous avons été invités par Mio et ses amis bénévoles à participer à une plantation d’arbres organisée dans le parc pour les familles par une association du quartier.
Avant tout destiné aux enfants, cet événement ne concerne pas une plantation type Miyawaki à proprement parler mais qu’importe, nous allions planter notre premier arbre au Japon ! Tout un symbole émouvant pour nous, qui avions été inspiré 6 ans plus tôt par des planteurs japonais à mettre en terre nos premiers arbres en France.
Après les explications de rigueur gentiment traduite par Mio, nous nous sommes vu remettre, comme tous les enfants participants à la plantation, une petite étiquette de bois pourvue d’une ficelle sur laquelle nous pouvions écrire notre nom pour l’accrocher à notre arbre.
Vint ensuite le moment du tirage au sort : chacun est venu piocher dans un chapeau un petit bâtonnet de sucette sur lequel était attaché un macaron représentant un arbre : un Yamazakura – le cerisier du Japon – pour Damien et moi.
Enfin, toute la petite troupe s’est équipée d’outils et nous nous sommes rendus au cœur du parc où nous attendaient des trous déjà préparés pour accueillir nos arbres. Tout était organisé parfaitement et nous avons même eu droit à la visite du maire de l’arrondissement où nous nous trouvions.
Une fois notre cerisier planté, paillé et arrosé et après la photo de rigueur, Mio et ses amis – Anzaï et Kayoko – nous ont emmené visiter cette fameuse forêt, quelques centaine de mètres plus loin.
D’ordinaire, nous avons plutôt l’œil pour repérer les mini-forêts plantées avec la méthode Miyawaki. Nous repérons des massifs touffus et denses où tous les végétaux on le même âge, situés au milieu d’espaces minéralisés, ou, lorsque les plantations ont eu lieu dans un parc, elle sont entourés de grands arbres identiques et largement espacés.
Mais cette fois, impossible de deviner où était la forêt dans le parc Futakotamagawa, et pourtant, nous étions juste devant ! Elle se tenait là, vigoureuse et luxuriante.
Un bosquet de grands arbres – certains faisaient plus de 15 mètres de haut – s’étirait le long du chemin piéton sur plusieurs dizaine de mètres. À la frontière de la forêt, constituant son manteau, nous avons retrouvé les buissons et arbustes, massifs, qui barrait l’accès au cœur de la forêt.
Une fois passé cette barrière végétale, dans le cœur de la petite forêt pourtant large de seulement 5 ou 6 mètres, l’impression d’être dans une forêt déjà close, presque coupée du monde extérieur, nous a immédiatement saisie. Tous ces arbres dépassaient largement les 10 mètres de hauts et pratiquement plus aucun arbuste ne subsistait sous cette canopée, qui ne laissait pratiquement plus filtrer de lumière tant elle était dense. C’était comme un petit monde à part.
C’est d’ailleurs ce qui nous a le plus frappé avec Damien : l’impressionnante densité de cette forêt après plus d’une décennie d’existence.
Une crainte souvent évoquée en France vis-à-vis de la méthode Miyawaki est qu’avec une densité de plantation si forte (3 arbres / mètres carré), les végétaux ne peuvent pas tous survivre et un grand nombre finira par mourir.
Mais là, aucune hécatombe n’était à constater. La densité de végétaux que nous avons pu observer au sol était encore très forte et Mio nous a confirmé qu’après 11 ans, moins d’un tiers des 1400 végétaux plantés initialement sont morts. En revanche, les troncs des arbres semblaient tous relativement fins, ce qui tend a confirmer que la densité de plantation les incitent à pousser en hauteur plutôt qu’à s’étaler en largeur.
La forêt semblait se porter à merveille, de nombreux arbres en fleurs accueillaient des oiseaux et insectes venus profiter de ce buffet printanier. Rien ne distinguait cette forêt d’un boisement plus anciens, hormis les étiquettes de bois encore accrochées aux branches sur lesquels les bénévoles avaient écrit leur prénom en les plantant 11 ans plus tôt.
Juste avant de quitter la forêt, nous avons retrouvé l’arbre planté par Mio qui portait encore son étiquette de bois. Nous avons vu dans ces yeux à ce moment là, la même fierté et la même émotion que nous ressentons lorsque nous revenons visiter les mini-forêts que nous avons plantées en France.
Ce sentiment, universel, c’est celui que nous voulons partager avec tous les bénévoles qui viennent planter avec nous. Cet attachement profond et unique à un être vivant dont on prend soin et que l’on voit grandir. Voila ce qui nous anime à poursuivre l’aventure Boomforest et qui portent Mio et ses amis à planter depuis 25 ans.
Damien et moi sommes repartis ce jour là profondément émus et émerveillés par ce que nous venions de voir: une forêt Miyawaki si grande et si vieille, c’était complètement inédit pour nous !
Et pourtant, cette forêt était une petite jeunette comparée à celles que nous allions encore voir dans notre voyage.